La symbolique primitive de la plume semble liée à la notion d’équilibre intérieur, elle-même indissociable de la conscience du sacré. L’une des clés de cette plénitude se trouve dans le nom des prêtresses qui, à Delphes, remplissaient les devoir du culte : elles se nommaient « Abeilles ». Abeilles, parce qu’elles étaient nées de la décomposition d’un gigantesque taureau ; Abeilles, parce qu’elles avaient transformé la pourriture en pureté en créant un miel incorruptible.
L’ensemble des traits empruntés à toutes les traditions culturelles dénote que, partout, l’abeille apparait essentiellement comme douée d’une nature ignée, c’est un être de feu. Elle représente les prêtresses du Temple, les Pythonisses, les âmes pures des initiés, l’Esprit, la Parole ; elle purifie par le feu et elle nourrit par le miel ; elle brûle par son dard et illumine par son éclat.
Un texte juridique moyen-gallois dit que « la noblesse des abeilles vient du paradis et c’est à cause du péché de l’homme qu’elles vinrent de là ; Dieu répandit sa grâce sur elles et c’est à cause de cela qu’on ne peut chanter la messe sans la cire ». Le gallois « cwyraidd », de « cwyr » (cire), signifie parfait, accompli, et l’irlandais moderne « céir-bheach », littéralement « cire d’abeille », désigne aussi la perfection.
Le symbolisme de l’abeille évoque donc chez les Celtes comme ailleurs les notions d’immortalité et de sagesse de l’âme.
Par son miel et son dard, l’abeille est considérée comme l’emblème du Christ :
d’un côté, sa douceur et sa miséricorde ; et de l’autre, l’exercice de sa justice en tant que Christ-juge.
NB : La Justice des Abeilles
Après la fécondation des reines, si le ciel reste clair et l’air chaud, si le pollen et le nectar abondent dans les fleurs, les ouvrières, par une sorte d’indulgence oublieuse, ou peut-être par une prévoyance excessive, tolèrent quelques temps encore la présence importune et ruineuse des mâles. Ceux-ci se conduisent dans la ruche comme les prétendants de Pénélope dans la maison d’Ulysse. Ils y mènent, en faisant carrousse et chère lie, une oisive existence d’amants honoraires, prodigues et indélicats : satisfaits, ventrus, encombrant les allées, obstruant les passages, embarrassant le travail, bousculant, bousculés, ahuris, importants, tout gonflés d’un mépris étourdi et sans malice, mais méprisés avec intelligence et arrière-pensée, inconscients de l’exaspération qui s’accumule et du destin qui les attend. Ils choisissent pour y sommeiller à l’aise le coin le plus tiède de la demeure, se lèvent nonchalamment pour aller humer à même les cellules ouvertes le miel le plus parfumé, et souillent de leurs excréments les rayons qu’ils fréquentent. Les patientes ouvrières regardent l’avenir et réparent les dégâts, en silence. De midi à trois heures, quand la campagne bleuie tremble de lassitude heureuse sous le regard invincible d’un soleil de juillet ou d’août, ils paraissent sur le seuil. Ils font un bruit terrible, écartent les sentinelles, renversent les ventileuses, culbutent les ouvrières qui reviennent chargées de leur humble butin. Ils ont l’allure affairée, extravagante et intolérante de dieux indispensables qui sortent en tumulte vers quelque grand dessein ignoré du vulgaire. Ils affrontent l’espace, glorieux, irrésistible, et ils vont tranquillement se poser sur les fleurs les plus voisines où ils s’endorment jusqu’à ce que la fraîcheur de l’après-midi les réveillent. Alors ils regagnent la ruche dans le même tourbillon impérieux, et, toujours débordant du même grand dessein intransigeant, ils courent aux celliers, plongent la tête jusqu’au cou dans les cuves de miel, s’enflent comme des amphores pour réparer leurs forces épuisées, et regagnent à pas alourdis le bon sommeil sans rêve et sans soucis qui les recueille jusqu’au prochain repas.
Mais la patience des abeilles n’est pas égale à celle des hommes. Un matin, un mot d’ordre attendu circule par la ruche. On ne sait qui le donne ; il émane tout à coup de l’indignation froide et raisonnée des travailleuses, et selon le génie de la république unanime, aussitôt prononcé, il emplit tous les cœurs. Une partie du peuple renonce au butinage pour se consacrer aujourd’hui à l’œuvre de justice. Les gros oisifs endormis en grappes insoucieuses sur les murailles mellifères sont brusquement tirés de leur sommeil par une armée de vierges irritées. Ils se réveillent, béats et incertains, ils n’en croient par leurs yeux, et leur étonnement a peine à se faire jour à travers leur paresse comme un rayon de lune à travers l’eau d’un marécage. Ils s’imaginent qu’ils sont victimes d’une erreur, regardent autour d’eux avec stupéfaction, et, l’idée-mère de leur vie se ranimant d’abord en leurs cerveaux épais, ils font un pas vers les cuves à miel pour s’y réconforter. Mais il n’est plus, le temps du miel de mai, du vin-fleur des tilleuls, de la franche ambroisie de la sauge, du serpolet, du trèfle blanc, des marjolaines. Avant qu’il se soit rendu compte de l’effondrement inouï de tout son destin plantureux, dans le bouleversement des lois heureuses de la cité, chacun des parasites effarés est assailli par trois ou quatre justicières… (M. Maeterlinck, La vie des abeilles, Prix Nobel de Littérature 1911)
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